Intervention du Dr. MAYAKI, Directeur General du NEPAD sur la consolidation et le maintien de la paix : les contemporains des conflits et de l’insécurité au débat public virtuel de haut niveau du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Intervention du Dr. MAYAKI, Directeur General du NEPAD sur la consolidation et le maintien de la paix : les contemporains des conflits et de l’insécurité au débat public virtuel de haut niveau du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Merci M./Mme le président de séance.

Mesdames, messieurs,

J’aimerais vous inviter à nous pencher sur la situation critique de l’Afrique de l’Ouest en général et du Sahel en particulier. Cette région concentre en effet les défis qu’il importe de bien cerner pour trouver les solutions adaptées. Pour commencer, je voudrais rappeler ici quelques faits.

Au cours des 20 dernières années, la population de l’Afrique de l’Ouest a augmenté de 72 %.  Elle devrait encore doubler d’ici à 2050. Les villes absorberont environ les deux tiers de l’augmentation de la population. Les villes petites et moyennes vont croître plus vite que les capitales et les autres grandes villes. Certains villages se transforment même déjà en agglomérations urbaines sous l’effet de la croissance démographique. Au Niger par exemple, le nombre d’agglomérations de 10 000 à 50 000 habitants est passé de 40 en 2010 à 84 aujourd’hui.

En Afrique de l’Ouest, le nombre de personnes en crise alimentaire ou pire (selon la terminologie de l’outil d’alerte précoce Cadre harmonisé) augmente chaque année pendant la période de soudure en raison de facteurs structurels profonds, comme la pauvreté ou le manque de services sociaux de base. Le tiers des ouest-africains nécessitant une assistance alimentaire et nutritionnelle récurrente se trouve dans les trois pays du Sahel central.

La capacité des États et de leurs administrations à assurer les services publics et à encadrer leurs territoires restera très faible au regard de la forte croissance naturelle de la population. Avec 6 agents de l’état pour 1000 habitants, un pays tel que le Mali peine à assurer le minimum de services publics ; il y a un médecin pour 10 000 habitants, un hôpital pour 500 000 habitants.

Mesdames, messieurs,

A ces facteurs structurels s’ajoutent les problèmes sécuritaires de ces dernières années. Paix, sécurité et développement sont inextricablement liés. Nous l’observons aujourd’hui de manière très aigüe au Sahel où l’on assiste à une flambée de l’insécurité.

La crise sécuritaire multiforme qui prévaut dans la région affecte considérablement les populations civiles. Dans les zones touchées par les conflits, la violence armée rend la situation alimentaire et nutritionnelle très préoccupante. Le nombre de personnes déplacées par la violence armée a dépassé la barre du million au Burkina Faso ; cela représente 5 % de la population du pays.

Les zones transfrontalières, telles que le Liptako-Gourma et le bassin du lac Tchad, abritent une grande partie de la population ouest-africaine. Si elles sont déjà fortement intégrées économiquement et soudées par des solidarités sociales anciennes, ces zones sont aussi particulièrement touchées par l’insécurité. 40 % des actes violents ont lieu à moins de 50 km d’une frontière.

Dans le Sahel central, comme l’a rappelé la Table ronde ministérielle qui vient de se tenir, ce sont plus de 13 millions de personnes qui ont maintenant besoin d’une aide humanitaire, dont plus de la moitié sont des enfants. Les plus vulnérables d’entre eux vivent dans des camps inadaptés ou font peser une charge aux populations hôtes qui les accueillent.

Mesdames, messieurs,

Aux obstacles au développement d’ordre structurel et au contexte sécuritaire difficile viennent se greffer de nouveaux facteurs de risque qui exacerbent une situation déjà fragile.

Depuis les sécheresses des années 70 et 80, on observe un réchauffement du Sahel ainsi qu’une augmentation de la fréquence des évènements climatiques extrêmes. Les pluies torrentielles récentes et les destructions qu’elles ont occasionnées en sont un exemple frappant. Au Niger, ces inondations ont engendré un demi-million de sinistrés.

La pandémie de Covid-19 plonge des millions de personnes supplémentaires dans une situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle en raison des fortes perturbations des chaînes d’approvisionnement de la région. Ces perturbations provoquent une baisse du pouvoir d’achat et des difficultés d’accès aux denrées alimentaires, faisant d’ores et déjà basculer 6 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté au Sahel central.

En Afrique de l’Ouest, le secteur alimentaire représentait 40 % du Produit intérieur brut (PIB) en 2015. Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest estime que plus de 82 millions d’emplois pourraient être directement affectés par les restrictions de mobilité liées à la pandémie de Covid-19. Ces mesures sanitaires préventives ont de fait altéré les moyens de subsistance des travailleurs informels.

Deux tiers des femmes ouest-africaines travaillent dans le secteur alimentaire, où elles représentent 51 % de la main d’œuvre. Elles occupent souvent les emplois les plus précaires et n’ont pas ou peu de protection sociale. De plus, les femmes sont au cœur de la lutte contre la pandémie dans les systèmes hospitaliers. Au niveau communautaire, elles fournissent souvent des services de soins de santé non rémunérés et gèrent les maladies au sein des familles. Elles sont donc particulièrement exposées à une contamination potentielle.

Mesdames, messieurs,

Tous ces facteurs sont dépendants les uns des autres. Ce sont les catalyseurs d’une crise protéiforme et multi-échelle. Fort heureusement, des pistes de solutions existent pour pallier les fragilités socio-économiques et la pauvreté financière des États. De même, nous pouvons infléchir les incertitudes environnementales et la conjoncture globale de pandémie.

Voici quelques-unes des options qui sont à notre portée :

  • Apporter des réponses structurelles pour éradiquer la vulnérabilité alimentaire chronique.
  • Considérer le secteur informel de l’économie agroalimentaire comme un opérateur prioritaire du développement.
  • Favoriser les dynamiques de coopération régionale et utiliser des stratégies frontalières comme leviers de politique.
  • Renforcer les liens entre humanitaire, développement et paix dans une approche intégrée de triple nexus.
  • Soutenir les initiatives d’adaptation au changement climatique et le développement de systèmes d’alerte.
  • Tenir compte des réalités du terrain, c’est-à-dire contextualiser, toute mesure visant à préserver l’emploi et les moyens de subsistance pendant et après la crise de la Covid-19.
  • Renforcer le soutien prodigué aux femmes et inclure des réponses tenant compte de la dimension de genre dans toutes les politiques de relance face à la crise de la Covid-19.

Pour cela, il s’agit avant tout de travailler ensemble pour traiter les causes sous-jacentes de la crise. Le rythme et l’ampleur des tendances inexorables d’une part, et la rapidité et l’intensité des nouveaux éléments qui s’y ajoutent d’autre part, nous imposent une compréhension plus fine des dynamiques en cours. Nous devons faire de la production de données et de leur analyse le fondement de l’articulation de politiques publiques et stratégies internationales idoines.

Permettez-moi d’insister sur ce dernier point. Les données, l’analyse de ces données et le consensus établi autour d’elles nous fournissent les outils indispensables à l’articulation de politiques et de méthodes d’intervention holistiques, cohérentes et durables. Elles rendent possible une meilleure coordination et un calibrage efficace face aux réalités du terrain.

C’est pourquoi, il est impératif de mettre ces données au cœur de notre action si nous envisageons sérieusement d’inverser la « spirale descendante », de répondre aux besoins immenses des populations que nous servons tous et de faire revenir la paix au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

Je vous remercie.