Déclaration de Mme Fatou Bensouda, Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation en Libye, en application de la résolution 1970 (2011) du Conseil de Sécurité des Nations unies…

Déclaration de Mme Fatou Bensouda, Procureur de la Cour pénale internationale au Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation en Libye, en application de la résolution 1970 (2011) du Conseil de Sécurité des Nations unies…

Madame la Présidente, Excellences, je vous remercie de me donner l’occasion d’informer à nouveau le Conseil par vidéoconférence sur les activités de mon Bureau en relation avec la situation en Libye, même si la COVID 19 continue de présenter des défis uniques dans le monde entier, notamment pour le travail de mon Bureau. Néanmoins, nous restons résistants et productifs  face à ces défis et je suis heureuse de présenter mon dernier rapport à cette auguste Assemblée.

 Je félicite Saint-Vincent-et-les-Grenadines d’assumer la présidence du Conseil de sécurité et vous souhaite, Madame la Présidente, beaucoup de succès dans la conduite des travaux essentiels de ce Conseil pour le mois de novembre.

Vos Excellences, 

Le 23 octobre 2020, nous avons assisté à la signature de l’accord de cessez-le-feu par les autorités libyennes, à Genève sous les auspices des Nations unies. Il s’agit en effet d’une évolution concrète qu’il faut féliciter. Nous appelons les parties à mettre en œuvre avec assiduité l’accord pour inaugurer la paix et la stabilité tant attendues pour le peuple  Libyen.

 Les victimes d’atrocités commises en Libye doivent être rassurées sur le fait que, nonobstant toute signature de cessez-le-feu ou d’un accord futur, les personnes présumées responsables des graves crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (« CPI » ou la « Cour ») seront rapidement arrêtées et remises à la Cour pour faire face aux accusations pour leurs crimes présumés.

 La Libye reste une situation hautement prioritaire pour mon Bureau et notre engagement à chercher la justice et la responsabilité au nom des victimes restent inébranlables.  A notre  niveau les enquêtes ont considérablement progressé depuis mon dernier briefing au Conseil en mai 2020.

Malgré les défis posés par la pandémie de COVID 19, deux missions d’enquête ont été déployées en Libye pour recueillir des preuves supplémentaires  et renforcer  nos capacités.   Comme le Conseil l’aura noté, le 22 juin 2020, j’ai publié une déclaration à la suite de la découverte de multiples fosses communes dans la ville de Tarhunah et le sud de Tripoli.

 Mon Bureau est en contact avec les autorités nationales en ce qui concerne ces fosses communes. Jusqu’à présent, les rapports démontrent que plus de 100 corps ont été retrouvés par le les autorités impliquées dans l’exhumation des tombes. Nombre des corps retrouvés avaient ont eu les yeux bandés et les mains liées. Je souhaite profiter de cette occasion pour saluer les efforts et le travail important de toutes les parties concernées pour préserver les preuves de ces crimes, y compris les efforts louables du Gouvernement de l’Accord national.

Les missions ont également permis de renforcer la coopération mutuelle avec les autorités nationales compétentes et les autres parties prenantes. J’exprime ma gratitude et l’appréciation de la coopération et du soutien reçus du Gouvernement de l’Accord national et la Mission de soutien des Nations unies en Libye  (« UNSMIL »). Nous continuons à coordonner de manière constructive nos efforts communs conformément avec les principes de coopération et de complémentarité de la partie 9 du Statut.

Madame la Présidente, Excellences,

Mon Bureau continu de suivre activement la situation en Libye.  À cet égard, nous avons reçu des informations indiquant que le programme  sur Tripoli qui a été mené par la milice basée à l’est, connue sous le nom de l’Armée nationale libyenne (« LNA ») et ses forces de soutien, fait partie d’un modèle de la violence qui implique des frappes aériennes et des bombardements aveugles de zones civiles ; les enlèvements arbitraires, la détention et la torture de civils, les exécutions extrajudiciaires ; les disparitions forcées et le pillage de biens civils, répétant un schéma de violence qui a été précédemment signalée dans des endroits tels que Benghazi, Derna, Ajdabiya, Marzuq et Syrte.

Nous avons également reçu des informations crédibles indiquant l’utilisation accrue de mines et des engins explosifs improvisés contre des civils. Ceux-ci ont été découverts suite au retrait des forces de Tripoli et de ses environs.

Des mines et des engins explosifs improvisés auraient été placés dans les garages, les cuisines et les chambres des maisons civiles.

De nombreux civils qui sont rentrés chez eux après avoir fui les combats étaient soit tués ou blessés parce que leurs maisons étaient piégées par de tels dispositifs.  La menace que représentent les mines et les engins explosifs improvisés pour les civils et l’ampleur de leur utilisation est profondément inquiétante. Rien qu’entre mai et juillet, au moins 49 des personnes ont été tuées à cause de l’utilisation de mines.

Permettez-moi de souligner que l’utilisation de mines et de mines antipersonnel est un crime au regard du Statut de Rome.  Des engins explosifs improvisés comme moyen d’attaquer sans discrimination des civils.

J’encourage ce Conseil et tous les États membres des Nations unies à transmettre un message clair et ferme aux commandants, qu’ils soient militaires ou civils, et toutes les parties et groupes armés impliqués dans le conflit libyen que les règles du droit humanitaire international doivent être respectées et que ceux qui les défient les règles seront tenues pour individuellement responsables. Mon Bureau a également suivi les informations faisant état de civils pris pour cible qui ont exprimé l’opposition aux milices dans l’est et l’ouest de la Libye. À cet égard, le Conseil est conscient que l’UNSMIL a récemment demandé une enquête sur l’utilisation présumée de la force excessive exercée par les forces de sécurité le 23 août à Zawiyah et à Tripoli.

En outre, mon Bureau continue de recevoir des informations concernant des allégations sur les crimes graves commis dans les prisons et les centres de détention La Libye. Dans mon précédent rapport au Conseil, j’ai souligné les allégations selon lesquelles la détention des installations telles que Al-Kuweifiya et Gernada dans l’est de la Libye et la prison de Mitiga à Tripoli, qui est contrôlée par la Force de dissuasion spéciale, étaient utilisées pour détenir arbitrairement des civils dans des conditions inhumaines, y compris des allégations la torture.

Mon Bureau continue de recevoir des preuves de telles allégations. Je demande instamment à toutes les parties au conflit en Libye de mettre immédiatement fin à l’utilisation des centres de détention pour maltraiter et commettre des crimes contre les civils. La loi et le Statut de Rome interdisent l’utilisation des centres de détention de cette manière, je demande en outre que les observateurs et les enquêteurs internationaux aient pleinement accès des centres de détention en Libye et une coopération totale à cet égard.  Mon Bureau a également suivi la situation des personnes déplacées à l’intérieur du pays ainsi que les crimes commis contre les migrants. Malheureusement, les migrants continuent à être victimes de trafics et de crimes tels que la torture.

Je suis profondément préoccupe par le fait que, malgré les sanctions imposées par le Conseil à M. Ahmad Oumar Al-Dabbashi, pour son implication dans des crimes contre les migrants, il est rapporté de continuer à commettre des crimes.

Les récents développements positifs dans la lutte pour éradiquer les crimes contre les migrants sont encourageants et doivent être intensifiés. À cet égard, je note l’imposition de sanctions de l’Union européenne contre M. Mousa Adyab, que le groupe d’experts des Nations unies ont impliqués dans la traite des êtres humains, le viol et le meurtre des réfugiés.

Je salue également les efforts déployés par les juridictions nationales à cet égard et dont notamment la condamnation par le tribunal de Messine en Italie de trois personnes à 20 ans de prison pour des crimes commis contre les migrants à Zawiyah.

Madame la Présidente, Excellences,

Un thème récurrent que je dois souligner est la question de l’absence d’arrestation et de remettre les personnes contre lesquelles des mandats d’arrêt ont été délivrés par la Cour.

Cela reste une pierre d’achoppement majeure qui empêche mon Bureau de rechercher des justice pour les victimes des crimes d’atrocité commis en Libye . Au cours des années dans mon rapport au Conseil, j’ai déploré le fait que des individus contre lesquels des mandats d’arrêt ont été délivrés et sont toujours en fuite.

Il s’agit notamment de deux mandats d’arrêt à l’encontre de M. Mahmoud Mustafa Busayf Al-Werfalli, qui, en tant que commandant de la brigade Al-Saiqa, qui aurait exécuté 43 civils.

Le 21 septembre 2020, l’Union européenne a imposé des sanctions économiques à M. Al-Werfalli pour des crimes qui auraient été commis en Libye.

La demande de mon Bureau au chef de la LNA, le général Khalifa Haftar, d’arrêter et de remettre M. Al-Werfalli à la CPI n’a pas été entendue.

J’appelle à nouveau les autres commandants libyens à prendre toutes les mesures nécessaires pour nous rendre M. Al-Werfalli. Plus récemment, j’ai spécifiquement fait appel à M. Aqila Saleh, Directeur général de la Commandant de la LNA et M. Wanees Boukhmada, commandant d’Al-Saiqa Brigade pour aider à cet égard. Mon Bureau a depuis reçu des informations selon lesquelles M. Wanees Boukhmada est décédé. Il est néanmoins impératif que les efforts pour l’arrestation et la remise de M. Al-Werfalli doivent être poursuivies et intensifiées.

Permettez-moi de rappeler et de souligner l’obligation imposée aux commandants en vertu de l’article 28 du Statut de Rome pour prévenir ou punir la commission de crimes par des forces , leur contrôle effectif ou de les soumettre à une enquête et à des poursuites efficaces.

De même, les mandats d’arrêt contre M. Saif Al-Islam Kadhafi et M. Al-Tuhamy Mohamed Khaled n’a toujours pas été exécuté. M. Al-Tuhamy est toujours présumé être en Égypte. Je demande instamment à tous les États concernés, y compris la République arabe d’Égypte, de veiller à ce que Les fugitifs recherchés par la Cour sont remis sans délai.

La non-exécution des mandats d’arrêt est le principal obstacle à notre  capacité à donner de l’espoir au peuple et aux victimes de crimes en Libye. Je demande instamment au Conseil et les États membres à prendre des mesures efficaces et concrètes pour garantir que des refuges ne soient pas fournis aux fugitifs qui font l’objet de graves accusations pénales devant la Cour pénale internationale. L’inaction à cet égard permet à d’odieux  crimes qui auraient été commis dans des endroits tels que Tarhunah pour continuer. Il existe une responsabilité collective de veiller à ce que les mandats d’arrêt de la CPI soient dûment exécuté.

Madame la Présidente, Excellences,

À tous les autres égards, mon Bureau continue de bénéficier d’une forte coopération de la part de nombreux États et parties prenantes. En particulier, nos relations avec l’UNSMIL et les autorités en Libye se sont renforcées, tout comme notre relation avec EUROPOL.

Je tiens à répéter l’importance capitale de cette coopération dans nos activités et j’invite le Conseil et les États membres à soutenir collectivement nos efforts

pour renforcer cette coopération.

Mon Bureau continu en outre à fournir une assistance en faveur de l’enquête et la poursuite des crimes internationaux commis en Libye conformément

à notre objectif stratégique 6.

Je reste déterminé à remplir mon mandat dans le but de faire en sorte que les responsables des crimes les plus graves de portée internationale, et recherchant la justice pour les victimes en Libye.

Ce Conseil, ainsi que la communauté internationale, sont une nouvelle fois invités à apporter un soutien total à la CPI pour qu’elle puisse remplir son mandat en Libye.

Permettez-moi de conclure, Vos Excellences, par une dernière réflexion. Alors que nous sommes réunis ici aujourd’hui conformément à la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU pour démontrer notre engagement à la cause de la justice en Libye, je dois replacer cet engagement dans son contexte.

Nous nous trouvons à une époque où des forces puissantes cherchent de plus en plus à saper la cause de la justice pénale internationale en tant que continuation de la politique d’autres moyens.

Ce qu’il faut, aujourd’hui plus que jamais, c’est un plus grand soutien à la CPI, à son travail indépendant et impartial et l’état de droit international ; pas moins.

Tout acte susceptible de saper le mouvement mondial vers une plus grande responsabilité pour les crimes d’atrocité et un ordre international fondé sur des règles doit être évité.

Je compte sur le soutien de la communauté internationale, de ce Conseil à défendre fermement la justice pénale internationale en Libye et au-delà, comme un moyen nécessaire pour assurer la paix et la sécurité internationales, et pour faire avancer la cause de la justice pour les victimes de crimes d’atrocité.

Je vous remercie de votre attention.